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Le forgeron ou Empù
Le terme Empù ou Mpu est une contraction du bahasa Empunya (le maître).
Comme dans toutes les civilisations anciennes, il appartenait à une caste respectée et redoutée où la transmission du savoir était orale et protégée par le secret. De la manipulation des trois éléments de base (eau, feu, minerai), il créait le"Tosan Aji" (métal magique) ou Pamor(littéralement - mélange de métaux), symbôle de l'union du cosmique (fer météoritique) et du terrestre (fer, acier, ...). La tradition en fait l'héritier du forgeron divin.
Outre son expertise et ses pouvoirs, ce qui va caractériser l'Empù par rapport à la majorité des forgerons actuels (Pandé Besi ou Tukang Keris), c'est la transmission du savoir à travers de véritables dynasties attachées aux différents palais dès le XIII°.
La démarche spirituelle
Il semble qu'il y ait eu deux types de fabrication des lames:
Ageman: arme ordinaire (fabrication simple et rapide).
Pusaka Tayuhan: arme réalisée sur commande dont l'analyse du style et du type d'alliage permet de les rattacher à un royaume et à une époque.
Quelque soit l'époque, la fabrication d'une arme Pusaka Tayuhan s'inscrivait dans une démarche spirituelle destinée à tranférer au Keris un "Isi" (pouvoir magique) au profit de son propriétaire: aspirations au pouvoir, puissance, sérénité, méditation, calme, ...Chaque étape de fabrication était entrecoupée de méditations (Tapa Bratat), de prières et d'ascèses de purification. Le travail ne se faisait qu'à certains moments propices de l'année (pleine lune, ...), tant et si bien que ce travail pouvait prendre des mois....
Un Empù javanais faisant une offrande à l'esprit du Keris (from Jasper & Pirngadie - extrait d'une photo fin XIX°)
Ces rites étaient censés assurer le transfert des pouvoirs de l'Empù au keris, pouvoirs encore renforcés par la forme de la lame ou Dapur et l'ensemble des éléments symboliques du Keris.
Les choix techniques
La démarche spirituelle induisait donc pour l'Empù un ensemble de choix concernant:
la forme de la lame (Dapur)
les métaux à allier pour obtenir le Pamor.
le type de forge soit:
Pamor plat ou Mlumah
Pamor vertical ou Miring
le dessin du Pamor, soit:
Pamor Tiban (au hasard)
Pamor Rekan (voulu)
l'inclinaison de la lame par rapport à son axe
la finition apportée à la base de la lame (Prabot) par décorations symboliques.
Les métaux et alliages utilisés
le fer ou Mêlala ou Malela (cast iron - plus ou moins aciéré) utilisé pour les dagues et les sabres.
le fer grossier ou Besi Bari présentant une surface particulièrement rugueuse et utilisé surtout pour les machettes.
le feuilletage (laminated) obtenu par la forge de 2 ou 3 métaux donnant des lignes parallèles au fil de la lame et surtout utilisé pour les sabres.
le Pamor utilisé pour les lames Pusaka et Ageman.
Les composants du Pamor
Le fer:
anciennement extrait du sable, puis importé d'Inde ou de Perse. Il y avait un choix d'environ une trentaine de variétés: Purosani (alloy steel), Mangangkang, Kamboja, Karang Kijang, ....
L'acier
(belitung) pour la trempe de la lame
Le Pamor metal choisi entre 3 métaux:
le Panawang (white iron) réservé au processus Ageman.
le nickel habituellement utilisé. Il provenait des mines du centre des Célèbes (Pamor Luwu). A partir de la fin du XIX°, les européens fournirent un nickel de recyclage (jantes de cycles, pièces auto, ...).
très rarement, les pépites de météorite (les plus recherchées car c'est un alliage naturel de différents métaux dont le titanium et le nickel - plus de 5%). Plusieurs sites ont été exploités dans le temps, comme celui de Prambanan dans l'est de Java (chutes du milieu du XVIII°). Ces pépites étaient principalement conservées dans les palais et réservées aux sultans.
La forge
Forge à haute température d'environ 5 kg de fer avec battages répétés jusqu'à réduction à env. 2 kg.
Forge à combustion lente
pour créer le Pamor, introduction de 50 gr de Pamor metal. L'alliage est battu en feuille, puis découpé en lanières qui sont ensuite torsadées ou roulées ou croisées ou rabattues en plusieurs plis et battues à nouveau en feuille. Ce processus est répété afin d'obtenir un feuilletage qui, pour un bon Keris, va jusqu'à 60 plis.
pour la trempe, introduction de 500 gr d'acier et battages répétés jusqu'à réduction à environ 400 gr (poids définitif approximatif d'une lame de Keris).
Finition
pour la création du Dapur de la lame et des détails du Prabot, travail alterné de battage à rouge et de ciselage à la lime, ciseaux et pince.
pour dégager le Pamor, trempe dans une solution d'arsenic, acide citrique et sel. Le fer demeure noir alors que le nickel ressort en clair