TECHNIQUES DE FORGE

tiré de

Swords of iron, swords of steel

Motif de fond de page réalisé avec une isothélie de Damascus steel d'un Katar début XIX

La difficulté majeure est l'obtention d'informations fiables sur les matériaux utilisés et sur les procédés de fabrication du monde européen. De Pline l'Ancien (+AD79) jusqu'au XVII° siècle, on dispose de très peu de sources. La raison est que ces techniques étaient tenues secrètes par les forgerons et les corporations qui pratiquaient une transmission orale de leur savoir. Ce métier, respecté, voire redouté, gardait ainsi tout son pouvoir.

Matériaux Composition Caractéristiques principales Utilisation
FER FORGE .00%-.04% carbone / 3% silice tendre et malléable, soudure facile, résistant à la combustion en forge et à la rouille, se tord Antiquité et début de l'époque médiévale européenne: nécessitant de fréquents aiguisages, se pliant et se déformant.
FONTE DE FER jusqu'à 8% d'impuretés incluant 3.5% à 4.25% de carbone, plus phosphore, silice, ... dure et cassante, non malléable, se moule, résistante à la chaleur et à la compression, rouille, soudure impossible Asie:en raison de leur type de fourneaux et de la qualité du charbon utilisé.
ACIER .04% à 2.25% de carbone plus dur et moins malléable que le fer, soudure difficile, se consume facilement en forge, tendance à rouiller, , cassant quand trop durci, se craquèle à trop haute température. Très faible taux de silice et fréquentes traces d'autres métaux. Seul l'acier réalise un équilibre correct , mais difficile à fondre en grande quantité et nécessitant des techniques spéciales pour obtenir une arme fiable supportant nombre de chocs au combat.

Pour rester aiguisée, la lame doit être dure, mais plus elle est dure et plus elle est cassante.

Pour obtenir ce compromis, les différentes sociétés ont mis en oeuvre et perfectionné 8 techniques de fabrication pour forger des épées fiables au combat et qui soient à la fois vitrine artistique et technologique.

Les épées romaines Natural alloy iron (fer forgé)
Les épées du Nord de l'Europe Simple laminated welding (feuilletage simple)
  Pattern welding (alliage à motifs)
  Homogeneous tempered steel (acier trempé homogène)
Les épées orientales Crucible wootz steel (acier Wootz en creuset)
Les épées asiatiques Infused wootz steel (acier Wootz en infusion)
  Pamor
Les épées japonaises Complex laminated welding (feuilletage complexe)

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Les épées romaines: le fer forgé

Les premières lames étaient en fer pur, sans atteindre les qualités des lames en bronze. Le seul avantage était que le minerai de fer était abondant alors que les mines de cuivre et d'étain étaient plus rares et beaucoup plus dispersées.

Plus tard, les romains ont mieux profité de la qualité de leur minerai qui contenait du nickel et du tungstène et surtout du manganèse qui permettait de durcir les tranchants.

Pline l'Ancien considérait que la qualité de l'eau des trempes intermédiaires et finales était fondamentale.

Les eaux magiques aux formules secrètes, le lait, le beurre, la cire, l'air froid soufflé, le sang et même des esclaves vivants, ont été essayé pour tremper les épées. En fait, tous ces essais avaient pour objectif de contrôler la vitesse de refroidissement, et donc, la dureté et la trempe de la lame. L'eau qui a un point d'ébullition bas, refroidit rapidement; la saumure un peu plus vite et l'huile plus lentement.

Par ailleurs, les romains importaient par le Levant de l'acier Wootz de l'Inde qu'ils utilisaient surtout pour des armes de prestige. Enfin, à partir du 1er siècle, ils employaient des fers forgés en feuilletage (laminated), technique héritée des Celtes.

Les épées du Nord de l'Europe

  • Le feuilletage simple

Dans le nord comme à Rome, on utilisait des fours très simples (à même le sol) où l'air était fourni par les vents dominants ou un soufflet minimum. Ce feu était suffisant pour réduire le minerai en masse de métal et en scories, mais pas assez pour l'oxydation et la fusion. A l'origine, c'était une cheminée large et basse avec une ouverture à sa base pour l'entrée de l'air et les manipulations. Le charbon et le minerai étaient chargés par le dessus. Le minerai pouvait être de haute qualité avec du manganèse pour durcir la lame et des impuretés qui étaient éliminées (sulfure, phosphore et arsenic). Ce pouvait être aussi du simple fer des marais et rivières (limonite qui se forme dans l'eau par précipitation bactérienne). Le résultat d'une fusion de fers de différentes qualités, battus après de nombreux pliages, était un feuilletage simple où les lignes sont plus ou moins parallèles aux bords.

Le contrôle des proportions entre le flux d'air et la température permettait au carbone du charbon de lancer l'aggrégat du fer: l'oxygène de l'oxyde de fer était alors consumé et changé en monoxyde de carbone. Une partie des impuretés était brulée et d'autres se mettaient en masse comme les scories. On obtenait une masse rouge (avec un peu de silice) qui sera fortement battue pour éliminer les impuretés résiduelles .... le résutat était bon pour faire des gonds de porte, pas des épées.

Si ce contrôle n'était pas suffisament précis (trop d'air, trop de charbon, trop longtemps au feu, ...), il pouvait arriver qu'autour de 2400°, le fer commence à absorber le carbone. Une fois la masse retirée du feu, la partie du fer ayant absorbé trop de carbone était de la fonte de fer et celle qui n'en n'avait pas absorbé assez, du fer forgé.

Entre ces 2 extrèmes, se trouvait l'acier ou "fer dur".

Par approches successives, la technologie de l'acier fit son chemin. Il ne lui fallait pas énormément de carbone pour avoir une lame tranchante. Les analyses faites sur différents échantillons du V° au X° donnent une moyenne de 40% d'acier (soit un indice de dureté de 61% sur l'échelle C de Rockwell). De telles lames devaient être affutées souvent, mais avaient la dureté de l'acier ainsi que la résistance et la durabilité du fer forgé.

Les lames de cette époque étaient forgées selon deux méthodes:

  • soit à partir d'un acier de qualité homogène.
  • soit à partir de différentes qualités d'acier et de fer forgé.

Une radiographie au rayon-X faite sur 142 lames entre le V° et X° par le laboratoire du British Museum montre que cette seconde méthode "Pattern welded" (alliage de métaux) était utilisée dans 64% des cas (avec un pic de 100% au VII°).

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  • L'alliage à motifs

Dans cette méthode, la lame est forgée à partir de rondins à teneur variée de carbone qui sont tordus ensemble et fondus en une seule masse. Cette fusion est très délicate. Le fer forgé commence à fondre à 2500° et se consume à 2750°. Pour l'acier, la plage est de 2200° à 2600°. Ce qui ne donne qu'une plage très étroite de 100° pour une fusion correcte des 2 métaux. Toute l'expérience du forgeron est indispensable pour mener à bien cette opération.

Il y avait au moins une bonne douzaine de façons d'unir (tordre) les métaux, sans compter les nombreuses variantes. Est décrite ci-après une parmi les plus simples:

2 bandes de fer forgé et 2 bandes d'acier à 40 à 60% sont fondues ensemble en un seul rondin qui est mis à la dimension de la lame, chauffé et tordu en S (////////), puis martelé. Un 2ème rondin, identique au premier, est chauffé et tordu en Z (\\\\\\\\), puis martelé. Les 2 rondins sont fondus en un seul mis à la dimension de la lame, puis, une bande d'acier à 80%, placée sur les côtés et la pointe pour fournir le tranchant, est fondue avec. L'épée peut alors être forgée. En fonction de la teneur en carbone de l'acier, elle était trempée jusqu'à obtenir des bords durs et un centre doux. La lame était alors polie et passée à l'acide (vinaigre) pour dégager le dessin en V de l'alliage courrant sur toute la longueur.

Cette méthode était difficile à mettre en oeuvre, mais, un tel composite donnait des lames très résistantes (comme le lamellé-collé) et très belles.

  • L'acier trempé homogène

C'est à partir du XI°siécle que l'acier homogène se généralise (sauf en ce qui concerne la décoration par écritures ou symboles) pour 2 raisons:

  • l'expérience accumulée par des générations de forgerons dans la maîtrise de la production de l'acier.
  • l'introduction et la diffusion du four catalan après les invasions arabes en Espagne. De conception simple, il permettait de multiplier par 7 la production d'acier d'une fusion. Il est resté très utilisé jusqu'à la fin du XIX° en Espagne, en France et aus USA.

Dans cette méthode, on forgeait un rondin d'acier avec une teneur adéquate en carbone (60%). La difficulté résidait dans l'étape finale de durcissement du tranchant et de la trempe où intervenaient 2 paramètres importants:

  • La température de chauffe était portée au rouge cerise avec trempe dans une saumure. En fonction du choc thermique, on devait obtenir une lame à son maximum de dureté, mais aussi de fragilité. On la rechauffait avec soin afin de réduire ces extrèmes. Selon la teneur résiduelle en carbone, la lame était portée au jaune 420°, paille 470°, bronze 500°, pourpre 540°, bleue foncée 590° ou gris acier 650°.
  • La trempe dont on faisait varier la vitesse de refroidissement par utilisation d'argile comme retardateur.. Placée au centre, on obtenait des bords durs et un centre doux. Cette technique, tenue secrète par les corporations, était celle utilisée par les japonais.

Deux autres méthodes similaires ont été utilisées:

- Case hardening: cette méthode produit une très fine couche d'acier qui enveloppe le fer forgé (rarement plus de 3 mm, le plus souvent moins d'1 mm.). Le carbone détenu dépendait de l'épaisseur de la couche. L'ensemble était porté au rouge pendant plusieurs heures. Le "scandale des épées" au XIX° montra les limites de ce procédé. Les anglais avaient acheté des lames forgées selon cette méthode à Solingen et eurent les pires déconvenues pendant leur campagne d'Egypte.

- Cementation: très répandu au XVIII° et XIX° siècles, cet acier "ciseaux" était utilisé pour les lames de ciseaux, coûteaux et haches. Le fer est placé dans un coffre étanche et cuit à haute température pendant des jours. Quand on le sort du coffre, il présente un aspect boursoufflé, d'où son nom. Cette technique daterait du début du XVII° siècle, mais ses origines pourraient être plus anciennes.

Les épées orientales: l'acier Wootz en creuset

Le terme Damascus est souvent improprement utilisé. Il est parfois dénommé "Watered" steel par les spécialistes, ie moiré comme la soie ou "Wootz" steel , déformation du mot Wook (de l'hindou Ukku signifiant acier) et produit selon 2 méthodes:

La variété de Wootz steel dite Crucible (obtenue en creuset) était produite en Inde depuis l'époque romaine. Du fer forgé en morceaux était placé dans une série de petits creusets en céramique avec du bois et des feuilles. Ces creusets scellés hermétiquement étaient chauffés vivement dans un four pendant une semaine. Lors du refroidissement, ils étaient cassés pour dégager un lingot d'acier obtenu par absorption du carbone des feuilles et du bois. Ce lingot était un aggrégat d'ensemble de cristaux qui étaient à la base du décor de la lame: ferrite (fer pur), pearlyte (comprenant assez de carbone pour donner la martensite après chauffe), cementite (formée au point de saturation du carbone). Il était fendu, puis étiré. Remis au feu, il était travaillé prudemment car la marge de température était très étroite. Les lames étaient chauffées, puis refroidies au courant d'air forcé.

Les dessins du Wootz steel pouvaient être modifiés par limage en stries, puis, martelage à plat afin d'obtenir des variations comme "l'échelle de Mohamed". Le travail habituel donnait le dessin "Ants tracks".

Les épées asiatiques

Les épées chinoises: acier Woozt par infusion  

La variété de Wootz steel dite par Infusion (obtenue par co-fusion) était produite en Chine où il y avait abondance d'anthracite et, par tradition, utilisation de haut-fourneaux permettant d'avoir des températures très élevées. Une fonte de fer de haute qualité était obtenue dès 500 BC. Dans la méthode d'infusion, des barres de fer forgé et de fonte de fer étaient placées ensemble dans un container hermétique et chauffées jusqu'au point de fusion de la fonte. Le carbone de la fonte passait dans le fer forgé, le transformant en acier. Les impuretés contenues dans le fer (silica, ...) permettaient d'obtenir le dessin, une fois la lame polie et passée à l'acide. Tout dépendait de la qualité des matériaux, de la température du four et de l'habileté du forgeron.

Les Keris indo-malais: le Pamor  

Ces lames sont dites "à 5 tranchants" (la pointe, les 2 tranchants et les 2 plats dont la surface est abrasive) et à Pamor, alliage d'un ensemble de métaux (pépites de météorites, nickel, acier, ...) qui, après polissage et passage à l'acide, révèle une grande variété de dessins. La fabrication des Keris Pusaka intègre un ensemble de rites destinés à conférer à l'arme des pouvoirs magiques.

Les épées japonaises: le feuilletage complexe  

Ces lames qui appartiennent à une variété de feuilletage (laminated) complexe, combinent à la fois perfection technique, rituel et symbolisme. La technique varie selon les provinces, les époques et les traditions des forgerons.

La fonderie consommait environ 13 tonnes de charbon et 8 tonnes de minerai pur en une chauffe de 72 heures. La masse résultante d'environ 2 tonnes est découpée en pièces de la taille d'un poing qui sont martelées, puis, triées par teneur en carbone (50% de la masse était de l'acier à 60 à 150%). La partie à trop haute teneur en carbone était appauvrie, alors que celle en trop faible teneur, était enrichie. On obtenait finalement 2 variétés d'acier: l'une pour le coeur de la lame et l'autre pour les plats et les bords. La fabrication pouvait comprendre pour certaines lames 4 parties (bord tranchant, bord dos, plats et coeur), mais habituellement, se réduisait à 2 parties (bords/plats et coeur):

- pour les bords/plats, 4 à 7 livres d'acier à 100 à 150% enveloppées dans un papier de riz sont placées dans une spatule, plongées dans un bain d'argile, puis, roulées dans des cendres de paille de riz (pour éviter l'oxydation). Elles sont fondues ensemble pour donner un rondin qui est étiré, découpé, plié, recouvert d'argile et de cendres et refondu ensemble à nouveau.... jusqu'à 14 fois à une température entre le jaune clair et le rouge clair. Deux phénomènes se produisent:

  • le rondin perd son carbone (environ 70% de teneur) et son poids est réduit à 2 à 3,5 livres.
  • le rondin est un acier homogène à décor de veines de bois.

- pour le coeur de la lame, le forgeron part d'un lingot de 2 livres d'acier à 50% et le travaille jusqu'à obtenir une demie livre d'acier à 20 à 30%.

L'acier des bords/plats est alors enroulé autour de l'acier coeur et le tout est fondu en un seul rondin qui est étiré à la forme de la lame. Celle-ci , dont la section est de l'ordre de 15 cm. avec un tranchant de 1 à 3 cm., est alors martelée avec des chauffes successives (de jaune à rouge cerise).

Une fois la forge terminée, la lame est surfacée à la lime. Elle est grossière et propre et ne doit surtout pas être touchée avec les doigts pour éviter tout dépôt de graisse préjudiciable à la création du "Hamon" pendant la trempe. Parfois dénommé improprement "ligne de trempe", le hamon est une ligne de rupture entre la partie dure du tranchant (refroidissement rapide) et la partie tendre de la lame (refroidissement plus lent).

Le hamon est la partie visible de la qualité du durcissement, un hamon en vagues étant le gage d'une plus grande résistance aux chocs et permettant un réaffutage plus facile.

Le processus de durcissement (Yaki-re) commencait par un revètement d'argile, de charbon et de sable. Plusieurs épaisseurs, dont une fine sur le tranchant, une plus épaisse sur le dos, étaient appliquées sur la lame. Celle-ci était chauffée jusqu'à son point critique. Cette opération se faisait de nuit, avec le feu comme seul éclairage, de façon à maitriser par la couleur le niveau de la température de l'ordre de 700°C. La lame devait devenir rouge brillant à orange sur le tranchant et rouge brillant sur le dos. Puis, elle était rechauffée à 160°C (jaune brillant à pâle) et trempée. Le hamon était révélé par un acide dilué.

La plupart du temps, la lame était voilée. Elle était alors rechauffée et battue sur un bloc de cuivre porté au rouge. Cette opération pouvait être renouvelée de 3 à 5 fois avant rejet définitif. Aujourd'hui, dans un souci de perfection, les forgerons japonais rejettent entre 30 et 50% de leurs lames.

La longue finition pouvait alors commencer. Le seul secret de la beauté de ces lames réside dans le polissage qui prenait de 10 à 15 jours pour une lame simple. Six niveaux de polissage (de 180 à 3000 grains - indice de finesse) se succédaient en passes croisées. Le polisseur passait de la meule à eau aux pierres à grains fins, suivies de poudre d'oxyde de fer mélangée à de l'huile végétale et filtrée 3 fois au papier de riz. L'ensemble devait être un miroir .... qui révélait les imperfections de la fusion (flaw).

Certaines étaient testées sur des prisonniers qu'il fallait décapiter d'un coup.

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En Asie et en Orient, des moyens très simples ont permis d'obtenir des résultats proches de la perfection. Les techniques ancestrales y sont encore très vivaces.

En Occident, les techniques se sont perdues, remplacées par la technologie, les équipements nouveaux, ....

 



BIBLIOGRAPHIE
  • Bruce Blackistone - "Swords of iron, swords of steel" - First presented at the Miniver Cheevy Society for Early Medieval Studies, March 1991 - updated & revised in A.D 2001.
  • Lee Jones - "Swords of iron, swords of steel" on Vikingsords.com.
  • "European Mediaeval Swords" - medsword
  • Anvilfire Armoury, Ancient Trades Webring, ...
  • British Museum - "Swords of the Anglo-Saxon and Viking Periods in the British Museum: A Radiographic Study.
>> BLADE Version 1.00 ~ Avril 2003~ Copyright © 2003